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ACTE DEUXIÈME

Scène première.

(Un jardin.)
Entrent Maître Blazius et Perdican.
Maître Blazius : Seigneur, votre père est au désespoir.
Perdican : Pourquoi cela ?
Maître Blazius : Vous n’ignorez pas qu’il avait formé le projet de vous unir à votre cousine Camille.
Perdican : Eh bien ? Je ne demande pas mieux.
Maître Blazius : Cependant le baron croit remarquer que vos caractères ne s’accordent pas.
Perdican : Cela est malheureux ; je ne puis refaire le mien.
Maître Blazius : Rendrez-vous par là ce mariage impossible ?
Perdican : Je vous répète que je ne demande pas mieux que d’épouser Camille. Allez trouver le baron et dites-lui cela.
Maître Blazius : Seigneur, je me retire : voilà votre cousine qui vient de ce côté.
(Il sort. — Entre Camille.)
Perdican : Déjà levée, cousine ? J’en suis toujours pour ce que je t’ai dit hier ; tu es jolie comme un cœur.
Camille : Parlons sérieusement, Perdican ; votre père veut nous marier. Je ne sais ce que vous en pensez ; mais je crois bien faire en vous prévenant que mon parti est pris là-dessus.
Perdican : Tant pis pour moi si je vous déplais.
Camille : Pas plus qu’un autre, je ne veux pas me marier : il n’y a rien là dont votre orgueil puisse souffrir.
Perdican : L’orgueil n’est pas mon fait ; je n’en estime ni les joies ni les peines.
Camille : Je suis venue ici pour recueillir le bien de ma mère ; je retourne demain au couvent.
Perdican : Il y a de la franchise dans ta démarche ; touche là et soyons bons amis.
Camille : Je n’aime pas les attouchements.
Perdican, lui prenant la main. : Donne-moi ta main, Camille, je t’en prie. Que crains-tu de moi ? Tu ne veux pas qu’on nous marie ? eh bien ! ne nous marions pas ; est-ce une raison pour nous haïr ? ne sommes-nous pas le frère et la sœur ? Lorsque ta mère a ordonné ce mariage dans son testament, elle a voulu que notre amitié fût éternelle, voilà tout ce qu’elle a voulu. Pourquoi nous marier ? voilà ta main et voilà la mienne, et pour qu’elles restent unies ainsi jusqu’au dernier soupir, crois-tu qu’il nous faille un prêtre ? Nous n’avons besoin que de Dieu.
Camille : Je suis bien aise que mon refus vous soit indifférent.
Perdican : Il ne m’est point indifférent, Camille. Ton amour m’eût donné la vie, mais ton amitié m’en consolera. Ne quitte pas le château demain ; hier, tu as refusé de faire un tour de jardin, parce que tu voyais en moi un mari dont tu ne voulais pas. Reste ici quelques jours, laisse-moi espérer que notre vie passée n’est pas morte à jamais dans ton cœur.
Camille : Je suis obligée de partir.
Perdican : Pourquoi ?
Camille : C’est mon secret.
Perdican : En aimes-tu un autre que moi ?
Camille : Non ; mais je veux partir.
Perdican : Irrévocablement ?
Camille : Oui, irrévocablement.
Perdican : Eh bien ! adieu. J’aurais voulu m’asseoir avec toi sous les marronniers du petit bois et causer de bonne amitié une heure ou deux. Mais si cela te déplaît, n’en parlons plus ; adieu, mon enfant.
(Il sort.)
Camille, à dame Pluche qui entre : Dame Pluche, tout est-il prêt ? Partirons-nous demain ? Mon tuteur a-t-il fini ses comptes ?
Dame Pluche : Oui, chère colombe sans tache. Le baron m’a traitée de pécore hier soir, et je suis enchantée de partir.
Camille : Tenez, voilà un mot d’écrit que vous porterez avant dîner, de ma part, à mon cousin Perdican.
Dame Pluche : Seigneur mon Dieu ! est-ce possible ? Vous écrivez un billet à un homme ?
Camille : Ne dois-je pas être sa femme ? je puis bien écrire à mon fiancé.
Dame Pluche : Le seigneur Perdican sort d’ici. Que pouvez-vous lui écrire ? Votre fiancé, miséricorde ! Serait-il vrai que vous oubliiez Jésus ?
Camille : Faites ce que je vous dis, et disposez tout pour notre départ.
(Elles sortent.)

Alphred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, 1884, Acte II.

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